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DES NOUVELLES INQUIÉTANTES

Ariana essayait de se concentrer sur un partiel de chimie. Ronny, de son côté, se déchaînait sur son simulateur de vol au lieu de potasser ses cours. C’est alors que leurs communicateurs se manifestèrent. De concert.

Après avoir raccroché, Ariana fixa Ronny qui écartait également le boîtier de son oreille. « Les Faggan ? »

Il acquiesça. « Elinn.

— Moi, c’était Cari. Pour une affaire de la plus haute importance, comme d’habitude. » Elle soupçonnait parfois Cari et Elinn d’abuser de leurs liens fraternels pour régenter leur petit groupe. En ce moment par exemple. « À l’en croire, le monde est sur le point de s’écrouler.

— Pareil pour Elinn. » Ronny fourra l’appareil dans la poche de son pantalon. « À ton avis, on devrait y aller ? »

Ariana considéra l’écran qui lui faisait face. Elle était en plein milieu de l’examen. Si elle s’interrompait maintenant, il lui faudrait tout reprendre du début. « Honnêtement, je n’en crève pas d’envie. »

Ronny hocha la tête sans rien dire.

« Ah, la barbe ! » grogna l’adolescente. Elle désactiva le moniteur et se leva. « Mais il vaudrait mieux pour eux que la suspension de séance se justifie. »

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Une demi-heure plus tard, force lui fut d’admettre que c’était le cas.

« Démanteler la cité martienne ? Il a vraiment dit démanteler ?

— Oui.

— Vous nous faites marcher, hein ? »

Non. Il lui suffisait de regarder Elinn dans les yeux pour savoir que non.

Ils avaient établi leur cachette secrète dans l’ancienne station, au sud de la cité. Les quartiers d’habitation masquaient une enfilade de réduits envahis par un capharnaüm qui contrastait fortement avec l’ordonnancement minutieux des grands entrepôts situés au nord. Il n’y avait ici ni étagères ni ordinateurs, mais un bric-à-brac hétéroclite amoncelé à même le sol. Les colons ne jetaient rien, persuadés que, peut-être, ces vieilleries resserviraient un jour, fût-ce en pièces détachées bonnes à recycler. Or ce barda entassé à la va-vite dissimulait un passage oublié vers l’ancienne station où s’étaient installés, trente ans plus tôt, les premiers scientifiques et techniciens de Mars, après que leur vaisseau eut repris le chemin de la planète bleue. Les lieux étaient vétustes et exigus, les murs modelés dans un métal froid et cannelé – ce qui n’était guère étonnant puisque le complexe consistait en un agencement de réservoirs usagés enfouis sous terre. Cependant, les circuits d’alimentation en eau, air et électricité étaient restés intacts, aussi les adolescents avaient-ils aménagé leur repaire dans la salle commune de cet abri désaffecté.

« Contrôle des coûts, c’est bien ce qu’il a dit ? répéta Ariana.

— Oui », confirma Cari.

La jeune fille secoua la tête comme pour s’extraire de sa torpeur. « Ils sont malades ! Qu’est-ce que nous coûtons à la Terre, tu peux me dire ? Nous subvenons à nos propres besoins ! »

Cari eut un haussement d’épaules. « Oui, enfin… Une navette fait l’aller-retour tous les ans. Ça coûte… je ne sais pas exactement, mais à coup sûr plusieurs millions.

— Tu parles ! Je pensais que les navettes en question venaient surtout pour assurer la relève des Terriens. De gens comme Pigrato et sa clique. »

Cari leva les mains. « Nous n’avons rien entendu de plus. En sortant, j’ai jeté un œil sur la table – pourtant, je vous jure que ça ne sentait pas la rose –, mais Pigrato avait tout emporté.

— Suspendre la recherche ! fulmina Elinn en se croisant les bras, seul moyen pour elle, semblait-il, de ne pas exploser. Alors qu’il n’existe pas encore une carte complète de Mars ! »

Ils se dévisagèrent longuement, incrédules. Le regard d’Ariana dériva involontairement sur le calendrier de la saison de base-ball 2055, aux feuillets jaunis, toujours épinglé au mur. Ils l’y avaient laissé en souvenir de ce passé qu’ils n’avaient pas connu, sauf par les récits qu’en faisaient les adultes. L’objet avait appartenu à James Marshall, un biologiste disparu au cours de l’expédition qui avait coûté la vie au père de Cari et d’Elinn.

« Tu es sûr qu’ils ne se sont pas simplement payé la tête de MacGee ? insista Ariana. Cette histoire me dépasse. Ils ne peuvent pas démanteler la station ! »

Ils eurent beau discuter à bâtons rompus, ils en revenaient invariablement au même point. Mettre un terme à la colonisation martienne ? Inconcevable. Autant vouloir nier par décret gouvernemental la réalité de la pesanteur ou la noirceur de la nuit ! N’importe quoi, c’était forcément n’importe quoi.

Ils auraient poursuivi leurs conciliabules toute la journée si leurs communicateurs ne s’étaient soudain mis à vrombir. En même temps, ce qui identifiait clairement l’auteur du coup de fil : IA-20. L’intelligence artificielle n’avait évidemment aucun mal à leur adresser des messages personnalisés et pourtant simultanés.

Il était midi passé, IA-20 les rappelait à leurs obligations respectives. Des tâches coutumières que l’excitation du moment leur avait fait oublier. La « tornade blanche » Ariana était attendue à l’infirmerie, Ronny devait intervenir à l’extérieur sur un patrouilleur, Cari était de corvée d’élagage au verger. Quant à Elinn, il lui incombait de nourrir les poissons. Nul ne protesta. Depuis leur plus tendre enfance, ils avaient l’habitude de mettre la main à la pâte.

Chacun eut également droit au même sermon : « Par ailleurs, tu accuses un certain retard dans le programme de cours. Où es-tu actuellement ? Je ne parviens pas à te localiser. »

Il fallait se garder comme de la peste de répondre à cette question. La localisation fonctionnait dans l’ensemble de la cité et sur plusieurs kilomètres alentour, mais pas à l’intérieur de l’ancienne station. Le revêtement métallique des réservoirs dispersait les ondes radio, rendant impossible tout repérage électronique.

« Je suis en route ! s’exclama Cari avant de couper la communication.

— J’arrive, lâcha Ariana en l’imitant.

— Okay ! » enchaîna Ronny.

Elinn, pour sa part, raccrocha sans un mot.

« Et si nous consultions quelqu’un ? suggéra Ronny.

— Qui ? » Cari secoua la tête. « Ton quelqu’un voudra savoir comment nous avons eu vent de cette affaire et je ne vois vraiment pas ce que nous pourrions lui répondre. Tant que nous n’aurons pas d’explication convaincante à fournir, mieux vaut agir comme si nous n’étions au courant de rien. »

Ils se regardèrent, opinèrent : le pacte était scellé. Pour survivre au milieu de deux cents adultes, le quatuor avait appris à se serrer les coudes et à cultiver l’art du secret.

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Il flottait dans la serre une chaleur moite légèrement étouffante. Et cela empestait la fiente de poulet. Les volailles, habituées à se promener et picorer entre les pommiers, s’étaient massées autour du poulailler en caquetant avec irritation, les yeux rivés sur ces deux intrus venus troubler leur paisible existence.

Cari, sanglé dans un tablier et armé d’un sécateur, était l’un des intrus. Perché sur un arbre, il coupait les branches que lui désignait madame Dumelle.

Âgée d’une cinquantaine d’années, cette dernière était dotée d’un regard extrêmement sévère. Bien qu’elle fût en général agréable à fréquenter, elle savait se montrer détestable dès lors qu’on ne lui obéissait pas au doigt et à l’œil. Après avoir occupé, sur Terre, une chaire en droit international et spatial dans une université canadienne, elle avait épousé un technicien astronautique et le couple était parti s’installer sur Mars. Depuis, elle plantait des arbres, des arbustes et même quelques fleurs – une fantaisie qui, dissimulée dans un coin, avait jusque-là échappé à la vigilance de Pigrato. Elle était pour ainsi dire la gardienne des serres.

« Non, non, pas celle-là ! Celle d’à côté. Oui, voilà. Coupe ! »

Cari émonda la branche, que madame Dumelle rattrapa. La majorité des rameaux récoltés finiraient dans la machine à papier.

« Madame Dumelle, je peux vous poser une question ?

— Si tu tailles cette petite, là devant, d’accord.

— La liberté de domicile (l’excroissance était si rabougrie qu’elle résista) est un droit inaliénable de la personne humaine, n’est-ce pas ?

— Tout à fait. Oui, celle-là. Bon. Je crois que tu peux redescendre, nous en avons terminé avec cet arbre-ci. Passons à celui-là, qui a l’air mal en point. »

Cari se laissa glisser à terre. « Cette législation est-elle aussi valable sur Mars ? Je veux dire… en théorie, les autorités pourraient-elles exiger notre rapatriement sur Terre ? »

Madame Dumelle balaya d’un revers de main les cheveux de sa figure et leva les yeux vers les cimes. « Tu sais, je suis toujours sidérée par la hauteur qu’atteignent les arbres sur cette planète où la pesanteur est si faible. Les pommiers que nous avions dans notre jardin, au Québec, étaient à peine plus grands que nous. » Elle le dévisagea. « As-tu une raison particulière de me demander cela ? »

Cari hésita par crainte que son interlocutrice, en creusant un peu, ne le force à avouer qu’il avait surpris une discussion confidentielle entre monsieur Pigrato et ses collaborateurs. « Simple curiosité.

— Simple curiosité, donc. » Elle hocha la tête d’un air énigmatique. « Justement, ce n’est pas si simple. Sur le premier point : oui, nous jouissons de la liberté de domicile. Nous avons beau vivre sur Mars, nous sommes avant tout citoyens de la Terre – de la Fédération des États terrestres pour être précise –, avec ce que cela comporte de devoirs et de droits. Y compris celui de rentrer sur Terre si nous le souhaitons. D’y rentrer ou, pour toi qui as toujours vécu sur Mars, d’y aller. »

Cari tourna les yeux vers les poulets qui, courroucés, lui rendirent son regard. Derrière le poulailler s’étendait l’infinie plaine désertique. Son éclat roussâtre offrait un contraste saisissant avec la jaune douceur du soleil pointant haut dans le ciel. Une modeste bâche, claire et miroitante, les séparait de cet environnement hostile, plus ténue qu’une feuille de papier et maintenue en forme par la forte pression qui régnait dans la serre.

« Oui, j’entends bien. Mais ce que j’aimerais savoir, c’est si on pourrait m’y contraindre. »

L’œil de madame Dumelle se perdit dans d’inaccessibles sphères. Goûter à nouveau aux joies de l’enseignement ne semblait pas lui déplaire. « Par principe, la liberté de domicile peut faire l’objet de restrictions constitutionnelles, comme n’importe quelle liberté fondamentale. Différents cas de figure justifieraient légalement de telles restrictions : dégradation des conditions de vie, protection de la jeunesse, prévention de maladies, etc. En ce qui te concerne, les choses sont nettes : tu es encore mineur, c’est donc à tes parents, en l’occurrence ta mère, de décider où tu habites.

— C’est-à-dire que, si ma mère décide de m’envoyer sur Terre, j’y suis obligé.

— Exactement.

— Et elle ? Ou vous ? Pourrait-on vous forcer à rentrer ? »

Madame Dumelle scrutait déjà la couronne de l’arbre suivant, en quête de pousses indésirables. Son intérêt pour le sujet s’était tari. « Tu sais, de toute façon, les colons ont signé un contrat stipulant que les autorités sont habilitées à les rappeler sur Terre à tout moment. Cela fait partie du marché. Allons, continuons. Je vois ici un tas de branches qui ne demandent qu’à rejoindre la machine à papier. »

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Ariana arpentait l’infirmerie, nettoyeur à vapeur au poing. Aucun des trois lits disponibles n’était apprêté. Elle passa ustensiles, murs et lavabo au jet brûlant, tandis que son père feuilletait livres et listings, baragouinant dans son jargon médical des notes qui s’inscrivaient automatiquement à l’écran, mais tellement truffées de fautes d’orthographe qu’il lui fallait ensuite les corriger au clavier.

« Quel est l’imbécile qui a dit que les intelligences artificielles de la vingtième génération apprenaient toutes seules ? » grommela-t-il.

Lorsqu’elle eut fini, Ariana éteignit le nettoyeur et s’affala sur la chaise réservée aux patients, près du bureau.

« Papa ?

— Oui, mon ange ? marmonna le docteur Dejones sans quitter son moniteur des yeux.

— Nous sommes bien indépendants de la Terre, n’est-ce pas ?

— Oui, en quelque sorte. Pourquoi ?

— Comment ça, en quelque sorte ? Je croyais que nous pouvions subvenir à nos besoins ? »

Son père cligna enfin des paupières, se carra dans son fauteuil et l’observa attentivement. « Nous subvenons à nos besoins en eau, air, énergie, nourriture. Nous produisons nos propres vêtements, nos propres meubles. Mais, en te regardant, je vois une boucle d’oreille qui vient de la Terre, un tee-shirt que ta mère t’a offert et du mascara qui, outre le fait que je te trouve un peu jeune pour en porter, a toutes les chances de sortir d’une usine implantée sur Terre.

— Nous aussi, nous fabriquons des cosmétiques.

— Oui, mais la plupart des femmes ne les utilisent pas.

— Parce qu’ils sont moches. » Ariana balaya la remarque de la main. « Qu’importe, on peut vivre sans maquillage. Si nous renoncions aux bijoux et à tout le superflu, nous serions totalement indépendants, non ? »

Songeur, le docteur Dejones se massa le lobe de l’oreille. Ce geste – véritable manie – était généralement annonciateur d’une réfutation en règle. « Pas tout à fait. Il y a certaines choses que nous sommes incapables de produire et auxquelles nous ne pouvons pas renoncer. Le vaccin préventif contre le cancer, par exemple. Il nécessite un rappel tous les deux ans. Tous les ans, même, chez les enfants. La molécule se périme au bout de cinq ans. Et puis son élaboration requiert la présence de nano générateurs, d’infrastructures spécialisées dans la technique génétique et Dieu sait quoi d’autre. Rien que pour cela, nous resterons encore longtemps dépendants de la Terre.

— Mais j’ai entendu dire que ce vaccin était moins efficace qu’on ne le pense. Prévention ou pas, monsieur Tearer est mort d’un cancer l’an dernier.

— Mais sans doute pas d’un cancer imputable aux radiations. Le vaccin nous aide à supporter la dose massive de radiations à laquelle nous sommes exposés hors de l’atmosphère terrestre. Cela fait trente ans qu’on le prescrit aux astronautes et je le crois assez efficace. »

Ariana fit la moue. Son regard s’attarda sur l’armoire à pharmacie. Plusieurs boîtes du fameux médicament trônaient derrière la vitre. Sur les emballages de carton blanc était imprimé, en grosses lettres rouges : Hormesistat. « Mais supposons que l’écran de protection de la station soit renforcé et les sorties limitées…

— Ariana, l’interrompit son père en lui posant la main sur le bras, pourquoi faudrait-il faire une chose pareille ? Couper les ponts avec la Terre ! S’il y a une leçon à tirer dans l’histoire de l’humanité, c’est bien la vanité de toute entreprise de sécession. Ceux qui s’y sont risqués par le passé – et ils sont nombreux ! – n’y ont trouvé que d’infinies souffrances. Aujourd’hui, presque tous les États ont rejoint la Fédération. Ils se crêpent le chignon, se traitent de tous les noms, mais le résultat est là : les frontières entre les nations se défont, des liens se nouent, se tissent de mille façons, et c’est parfait ainsi. Non, au contraire, je souhaiterais que l’afflux de Terriens s’intensifie, que les navettes soient plus fréquentes, qu’il y ait davantage d’échanges. Si la population martienne passait de deux cents à deux millions, nous obtiendrions certainement un siège au Conseil fédéral et nous pourrions commencer à rembourser une partie des fonds que la Terre a investis pour notre développement. Voilà ce que je souhaite. Tu comprends ? »

Ariana regarda son père et déglutit. Il s’en était fallu d’un cheveu qu’elle ne lui révèle la découverte de Cari et d’Elinn. Cette prétendue découverte, pourtant, lui parut soudain n’être qu’un mauvais rêve. « Oui, acquiesça-t-elle. C’est ce que je souhaite aussi. »

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Ronny n’avait jamais pris de leçons de conduite. Il ne savait même pas que cela existait. Durant des années, il s’était exercé sur simulateur. Une fois habitué au port des gants et à la dimension du manche, légèrement plus grand dans la réalité, c’était devenu un jeu d’enfant. À croire qu’il avait fait ça toute sa vie.

« Bon », lança son accompagnateur, un dénommé Roger Knight. Visage en lame de couteau, cheveux grisonnants taillés en brosse, il avait collaboré à la plupart des travaux extérieurs et servi de pilote lors de diverses expéditions. « Nous avons du pain sur la planche.

— Galactique ! » brama Ronny, reprenant le cri de guerre du capitaine Nano dont, depuis des années, il suivait avec enthousiasme les aventures télévisées. Le capitaine Nano au cœur des vaisseaux sanguins, dans l’intimité des cafards, au pays des moutons de poussière…

Knight déploya une carte sur laquelle s’étirait une fine ligne rouge. « Nous devons longer la canalisation sud jusqu’au réacteur numéro 2 et mesurer le flux du courant d’induction. Il y a quelque chose qui cloche.

— Entendu », dit Ronny en faisant hurler la turbine.

En chemin, le récit de Cari et d’Elinn lui revint en mémoire, et son enthousiasme se mua en inquiétude.

« Dites, monsieur Knight », demanda-t-il tandis qu’ils se rapprochaient de la conduite, enfouie environ un mètre sous terre et dont le tracé était matérialisé par des fanions métalliques triangulaires et blancs, « pensez-vous qu’un jour on démantèlera notre station ?

— Quoi ? » Knight joua avec dextérité sur les boutons de son appareil. « Où es-tu allé chercher cette idée ?

— Nulle part.

— Eh bien, si tu veux mon avis, j’estime que nous en sommes encore aux débuts de la colonisation martienne. Sur le rivage d’une nouvelle Amérique. À ceci près qu’il n’y a ici aucun indigène à maltraiter. » Il réfléchit un instant puis secoua la tête. « Démanteler la station ? Quelle absurdité !

— Bien », fit Ronny, au comble du soulagement. Les gigantesques roues du véhicule chassaient pierres et éboulis avec une merveilleuse aisance. Que n’aurait-il pas donné pour rouler ainsi jusqu’à l’horizon, jusqu’au massif de Tharsis, jusqu’au bout de ce monde ! « Galactique ! »

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« J’ai un mauvais pressentiment », confia Elinn aux poissons qui, bouche ouverte, la fixaient de leurs yeux ronds. Elle leur lança un bol de nourriture finement hachée. Les animaux se précipitèrent sur les miettes qui dérivaient lentement vers le fond.

Il faisait sombre, à cette profondeur. Sombre et froid. Le matériau isolant badigeonné sur les murs ne parvenait pas à adoucir la température. Seuls les bassins, chauffés, diffusaient une tiédeur relative. Et les lampes suspendues à la surface de l’eau constituaient l’unique source lumineuse.

La cavité était d’origine. C’est d’ailleurs la présence de ce réseau souterrain qui avait incité les premiers colons à s’installer à cet endroit. Un enchevêtrement de rampes et d’escaliers permettait d’accéder aux ateliers situés à l’étage supérieur.

Elinn regagna le plan de travail à côté duquel étaient posées deux barriques débordant de résidus végétaux : feuilles fanées, racines, pelures d’oignons. Elle en piocha une pleine pelletée et la transvasa dans l’entonnoir du broyeur électrique qui, avec force craquements, lacéra les déchets.

Elle s’empara du bol ainsi rempli et se dirigea vers le second bassin. « Un très mauvais pressentiment, même », répéta-t-elle à l’adresse des poissons qui, indifférents, n’avaient d’yeux que pour leur repas.

Le projet Mars
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